Reminiscences of a journey to Lithuania [1971], Jonas Mekas
Dans la pénombre d'une maison de bois, le couchant rentre, ne laissant des objets qu'une forme modifiée, non pas l'idée (qui serait plutôt la lumière de midi) mais le sentiment de cette forme et ce sentiment n'est ni un adjectif, ni un substantif, c'est un verbe : vivre. Et la joie vient ensuite.
Quelques années avant que Claude Lanzmann entreprenne le tournage de Shoah, Mekas, rescapé, prend l'occasion qui lui est donnée de revenir chez lui.
Quelques petites phrases chantées nous disent au début, de loin presque, et sur fond de promenade dans les bois des Catskills, ce moment où il commence à se sentir chez lui, enfin. Et puis, il ne sera plus question des camps avant la fin du voyage, encore moins de la mort industrielle de millions de gens. Ou plutôt il en sera toujours réponse. Pas victoire, mais réponse possible : un verbe, vivre, et la joie vient ensuite, et elle s'appelle le cinéma, celui de Mekas.
"Reminiscences of a journey to Lithuania" se met presque naturellement en regard de la nuit, la nuit que regarderait Shoah. Il s'y met comme en contre-nuit, petite flamme du 16 mm comme cette vibration fragile de l'image qui a réussi à échapper à l'ombre infernale du XXe siècle. Doux éclats d'une lumière toute simple que la nuit vorace n'a pu engloutir, et qui profitent d'une accalmie entre collectivisme et capitalisme pour chanter tous les règnes insoumis : animal, minéral, humain parfois.
Un film avec la fragilité de la réminiscence - le titre est clair. Ce décollement de l'image et du son, ce temps indirect, ni passé ni futur ni présent, une espèce d'éternel dont la voix de Mekas syncope et accroche la matière, un éternel que l'exil offre comme terre aux gens assoiffés de cette lumière intérieure et qui n'aveugle aucun œil mais éblouit le cœur.