2015
Petite question concernant 4 films (10.09.2015) : www.youtube.com/channel/UCrt3zR29GGw4yvCJC9X8fMg
Le point de prise de vue fixe :
C'est une constante avec variables que je remarque (et que j'interroge). Une constante d'une caméra fixée en un point. Paresse ou symptôme décadent d'une modernité déjà vieille ? J'espère, ni l'un ni l'autre. Je l'espère et le crois. Mais quoi au juste ? Dans "Petitehistoiredetraindeféesdansletraind'enfantentraindenaîtreetd'astronomie", cette caméra est fixée à la vitre seulement pendant les parties dites "mouvement" du film. Elle est fixée mais le train dans son déplacement met des choses changeantes dans le cadre, plus ou moins hasardeuses. C'est l'opération des opérateurs Lumière sur les rivières ou sur les gondoles, déclenchée de façon le plus régulière possible sur une période de 50 heures qui correspond à la durée du voyage de Moscou à Novosibirsk. Plus ou moins hasardeuses, car le déclenchement ne s'est pas fait mécaniquement, disons toutes les 30 minutes, mais humainement, dès que les choses semblaient "parler", tout en essayant d'avoir au moins quelques plans par heure, dût le sommeil en souffrir. Le principe était de filmer entre une et six secondes, selon le magnétisme exercé par ce qui se présentait dans le cadre de la fenêtre du train en mouvement, avec ce mélange de prévisible - le lointain - et d'imprévisible - le proche, qui pouvait surgir au tout dernier moment. Ce prévisible lointain et cet imprévisible proche revient dans l'autre grand essai (grand par la durée) "Vénus : 99 matins, 2 soirs, 7 visions". Voilà, avec la fixité du point de vue, leur point commun. Mais ce n'est pas dire encore grand chose qui me concerne, si ce n'est même rien dire du tout. Ou alors, peut-être chercher à regarder, à fixer pour l'œil et donc la compréhension, comment glissent ensemble une certaine idée de l'aléatoire et du déterminé, en l'occurence comment cela glisse entre le ciel (cosmique) et la terre (humanisée). Pour ce dernier film, la fixité du point de vue (à la fenêtre) est aussi une nécessité de mesurer le mouvement des planètes de jour en jour, de saisir ce glissement, ou dit autrement (et perçu inversement) ce balancement de la terre sur son axe. Dans les deux films, des moments de "divertissement" viennent aérer la station. Il s'agit d'ailleurs, paradoxalement mais sans ironie aucune, de moments appelés "station" dans "Petitehistoiredetraindeféesdansletrainetd'enfantentraindenaître", qui sont posés aux arrêts en gare, tout simplement et tout logiquement ou presque. Leur sujet en est souvent assez libre (trop pour certains), ils ont en commun de n'avoir rien en commun qu'une recherche différente d'écriture formelle inspirée conjointement par leur sujet, la nature de la matière filmée disponible et les formes musicales, sur une durée qui n'excéde pas 10 minutes pour les plus développés. Dans "Vénus : 99 matins, 2 soirs, 7 visions", les divertissements sont liés à la fixité, puisqu'il s'agit de plans qui sont tournés à l'intérieur de l'appartement à la fenêtre duquel nous regardons le ciel du soir pendant ces 9 mois environ. Ces plans qui sont une sorte d'album de famille, de journal vu de l'autre côté, n'étaient pas destinés au film au moment où ils ont été tournés. Ils se sont imposés parce que la figure humaine en était sinon quasiment absente et puis parce qu'il y avait la possibilité de les intégrer précisément dans la chronologie astronomique, à une semaine près au maximum. Ce qui surgit ici, c'est le domestique. Ce qui est déterminé (à court terme), c'est le cosmique. Entre les deux, il y a les avions, les nuages, il y a aussi les faits divers, voire l'Histoire. Ce qu'on peut prévoir, ce qu'on ne peut pas prévoir, ce qu'on ne veut pas prévoir, mais ce qu'on voit tout de même.
Pour "Bonne nuit, les petits", le point fixe est point de fixation, qui panoramique à 360°, un point d'observation préférentiel pour essayer d'attraper ces choses qui traversent le ciel : une sorte de figure d'épouvantail mi-animé, mi-mécanique, planté en plein milieu d'un ciel crépusculaire et assailli de cauchemars volants, voire violents. À noter que les 360° parcourus ramènent au 0 comme le "do" amène à un autre "do" à l'octave supérieure ou inférieure : l'échantillon pris à Feldman est transposé de demi-ton en demi-ton selon la position de l'azimut, mais sans marque scientifique ici, bien que l'ouest et le nord sont à peu près donnés par les restes plus vibrants de lumière à cet endroit et à cette époque de l'année. (La géolocalisation très précise est même donnée, il s'agit d'un jardin d'Elista, dans la Kalmoukie russe.) En plus de la considération des azimuts, deux étoiles sont aperçues (Véga et Antarès). S'agit-il de multiplier les points de repère pour ne pas se perdre, ou au contraire pour se perdre un peu plus, de les faire jouer ensemble, les faire glisser et la perception du monde avec. Dans "Vénus : 99 matins, 2 soirs, 7 visions", les azimuts sont donnés de manière audible, voire visuelle, et de la façon la plus précise possible, le jeu n'est pas tout à fait le même. Les plans ont d'ailleurs été tournés en réglant l'heure de la caméra et nommés selon leur heure et jour de tournage en quelque sorte. La marge d'erreur doit tout de même être de plus ou moins deux minutes (d'horloge) par moments. Ce n'est pas le cas évidemment pour "Bonne nuit, les petits" ni pour les autres films à ce jour, sauf pour "Petitehistoiredetraindeféesdansletrainetd'enfantentraindenaître", ce qui a permis de remettre les plans tournés à l'aller et ceux tournés au retour dans l'ordre géographique. Autrement dit, le point fixe est doublé, celui de l'aller devient une sorte de contrechamp au retour. On trouve un double point fixe dans "Film noir (de fumée et de misère)" également : d'un côté de l'appartement et de l'autre. Mais d'une part les divertissements - séquences tournées en Hi8 ou dans d'autres formats - ont quasiment autant de place, et d'autre part rien ne permet de raccorder, ou presque, ce changement de 180°. Ce n'était qu'une gageure, partie du désir de faire fiction juste à partir de choses vues de chez soi, déclenché par une prostituée filmée sous l'orage. Faire feu de tout regard. Le résultat, cependant, est loin des attentes. Même si l'ajout de la voix de Solène lui apporte un peu d'humanité.
20.02.2016
Puisque filmer, c'est vivre et que vivre c'est habiter, il est logique que le point fixe soit, ne serait-ce que par moments, donné à la caméra quand il s'agit d'éprouver à quel point ces trois verbes (ces trois actions) sont liés et comment.